Page 19 - Pascal Izarn catalogue 2022
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u printemps 1775, le négociant Ledoux sembla soucieux de cesser ses activités professionnelles pour « pouvoir
jouir du repos que ses longs travaux lui ont mérité », et, il offrit aux enchères sa collection lors d’une vente organisée

par l’expert François Charles Joullain. La vente se déroula à partir du 24 avril 1775, dans la Maison de Saint-Louis,
rue Saint-Antoine, où l’on y vendit les « tableaux, bronzes, marbres, porcelaines, laques, pierres gravées & autres

pierres précieuses, meubles & objets de curiosité » amassés par Paul Guillaume Ledoux.
La pendule en bronze doré et porcelaine de Meissen est minutieusement décrite sous le lot 102 : « Une petite
pendule sur un char à quatre chevaux conduit par un enfant. On y voit Mercure tenant une bourse, & un petit

coureur derrière le char qui est entouré de fleurs : il est de cuivre doré d’or moulu, ainsi que les harnois des
chevaux ; toutes les figures & les fleurs sont de porcelaine de Saxe. Cette pendule est un petit chef-d’œuvre : elle

est sous cage de verre, & sur un pied de bois doré. »
L’expert de la vente n’a pas désigné le nom de l’horloger, car il n’est pas inscrit sur le cadran émaillé mais sur le
mouvement de la pendule. Les dimensions données dans le catalogue imprimé « 12 pouces [32,48 cm] de haut, sur 16
pouces 6 lignes [44,66 cm] de large » sont celles de la « cage de verre » destinée à protéger cette belle et rare pendule.

Sur cette pendule, le groupe central de Mercure tiré sur son char par quatre chevaux, richement harnachés, est
associé à un cocher et un jeune page à l’arrière du carrosse. Ces sujets sont très probablement l’œuvre de Johann
Joachim Kaendler (1706-1775) qui inspira durablement la production de la manufacture de Meissen. Des fleurs
peintes au naturel viennent enrichir cette élégante composition en bronze ciselé et doré conçue par un marchand-

mercier parisien.
Deux autres pendules également réalisée à Paris avec personnages de Meissen modélisées par Kaendler s’avèrent
très proche stylistiquement de celle de l’ancienne collection de Paul Guillaume Ledoux. Comptant seulement deux
chevaux pour tirer le char d’un cortège triomphal, la première pendule provient des collections du baron Alexandre

Ludwigovich de Stieglitz (1814-1884) aujourd’hui conservées à Saint-Pétersbourg.
La deuxième pendule de char similaire se trouve dans la chambre du Landgrave au Schloss Wilhelmsthal à Calden
près de Kassel et est illustrée dans Einsingbach et Portenlänger, op. cit., fig. 37. Le complexe a été construit entre
1743 et 1761 et est l’un des plus importants palais rococos au nord du Main. Le char de la pendule du Landgrave

transporte Minerve précédée de la Renommée et couronnée de dos par la Paix, le tout accompagné de putti
symbolisant les saisons.

Le rôle des marchands-merciers dans la création des pendules ornées de porcelaine de Meissen
Dans les arts décoratifs, le grand raffinement du XVIIIe siècle français pour la décoration intérieure résulte d’une
étroite collaboration entre les marchands-merciers et un véritable réseau d’artisans parisiens détenteurs d’un savoir-

faire jamais égalé.
Sous le règne de Louis XV à Paris, la puissante corporation des marchands-merciers invente sans cesse de nouveaux

objets d’art de très grands luxes destinés à une clientèle fortunée avide de pièces uniques et d’un goût novateur.
En matière d’horlogerie, ces rares pendules ornées de porcelaine de Saxe sont de magnifiques témoignages de
l’imagination sans limite des marchands-merciers français. Ils sont de véritables « designers » et concepteurs, car ils
ont l’idée d’associer les techniques d’horlogerie au bronze doré et à la porcelaine de Meissen, dont la production

connaît un véritable engouement chez les grands amateurs dans la première partie du règne de Louis XV.
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